La fuite : 4ème partie

Desgendres se précipita vers un comptoir libre où il posa ses livres brutalement. La jeune femme jeta un regard à la couverture du premier presque malgré elle.

¾        Bonjour Mademoiselle. Comment fait-on pour savoir si un passager s’apprête à embarquer sur un vol ?

¾        Je ne comprends pas bien votre question.

¾        Je voudrais savoir si une certaine personne va prendre le vol Air France pour Tokyo de ce soir.

¾        Je ne peux rien vous dire.

¾        Mais vous avez bien des listes de passagers ?

¾        Oui, mais elles sont confidentielles. Seule la police peut sous certaines conditions y avoir accès.

¾        S’il vous plaît ! Vous me reconnaissez, non ? supplia-t-il, enfreignant son maladif besoin d’anonymat pour retirer ses lunettes de soleil et son béret, qui libéra son éternelle tresse de cheveux noirs.

¾        Je crois, mais ça ne change rien, il n’en est pas question !

¾        Bien, il m’est donc impossible de savoir si Lucille Mauberton fera partie des passagers de ce soir pour le Japon. Dites-moi au moins si sur le vol de Tokyo, il y a des passagers qui continuent jusqu’à Nouméa. S’il vous plaît !

¾        Très probablement, c’est quasiment systématique.

¾        Vous qui connaissez l’aéroport par cœur, quel est le meilleur moyen pour retrouver un passager en instance de départ pour Tokyo ?

¾        Malheureusement, l’enregistrement peut se faire à n’importe quel guichet de ce terminal, sans compter l’enregistrement sur internet, et ensuite il y a une multitude de points de passage aux contrôles de police, alors ! Il vous faudrait un vrai coup de chance pour ne pas manquer la personne que vous cherchez !

¾        Je vous remercie, je vous laisse travailler !

¾        Attendez un instant je vous prie. Il y a peut-être une solution : je peux passer un appel de temps en temps au micro, si vous voulez, pour demander à cette personne de se faire connaître. Le message sera entendu dans tout le terminal.

¾        Vous pourriez ? Merci beaucoup ! Je vais m’asseoir tout près d’ici.

Derrière le chanteur, une file s’était formée. On commençait à s’impatienter. Il se retourna et ses livres sous le bras, s’en fut en rechaussant ses lunettes. Il regardait droit devant lui, ignorant délibérément ceux qui l’avaient reconnu. L’obsession qui dès qu’il se trouvait dans un lieu public ne le lâchait pas, refit surface : pourvu qu’aucun paparazzi ne cherche à savoir ce qu’il faisait à Roissy en ce dimanche après-midi, surtout après son étrange comportement de la veille en direct dans l’émission de Guernevez, et sa disparition en compagnie de Lucille !

Bientôt retentit le premier message : « Madame Lucille Mauberton, je répète, madame Lucille Mauberton est priée de se présenter au bureau des informations… »

Il était presque dix-sept heures. Desgendres, de nouveau barricadé derrière ses verres noirs, le catogan tressé sagement rangé sous son couvre-chef, se mit à arpenter de long en large le terminal, dévisageant toutes les femmes qui entraient dans son champ de vision.

 

Non loin de là, dans un autre terminal, Lucille qui avait retrouvé son calme se présentait à la porte de l’appareil battant pavillon britannique, sa carte d’embarquement à la main. L’appareil décolla dans les minutes qui suivirent.

 

Desgendres, que la sensation de chercher une aiguille dans une meule de foin ne semblait pas décourager, finit par élire une banquette à une entrée du terminal, non loin du bureau où il s’était renseigné à son arrivée.

La jeune hôtesse, sa curiosité aiguisée par les questions posées un peu plus tôt par le chanteur, l’observait à la dérobée. Elle le vit bientôt ouvrir un des romans qu’il avait sous le bras. Le chanteur lut d’abord distraitement, levant les yeux au moindre mouvement pour scruter les passantes, puis se laissa peu à peu absorber par sa lecture.   

De temps à autre, à la diffusion d’un nouveau message, il avait un sursaut, délaissait les pages pour quelques minutes et épiait de nouveau les femmes qui franchissaient les portes automatiques. Son manège durait depuis une heure ou deux, quand il se leva pour aller avaler un café non loin de là. Il reprit très vite son poste. De temps en temps il arpentait le hall de long en large. La nuit était tombée depuis longtemps quand il eut faim : il s’octroya un sandwich.

 

Maintenant, il tombait de sommeil. La jeune femme terminait son service. En passant à la hauteur du chanteur qui somnolait sur son inconfortable siège, elle lui toucha doucement le bras :

¾         Monsieur Desgendres ! Il est vingt-trois heures passé !

Il s’ébroua, retira ses éternelles lunettes :

¾        Comment ? Quoi ?

¾        Il est vingt-trois heures passé. Le vol de Tokyo est en train d’embarquer, tous les passagers ont fini d’enregistrer depuis longtemps !

¾        Ah ! dit-il avec la mine d’un petit garçon déçu de ce que le Père Noël ne soit pas passé.

¾        Je peux vous le dire maintenant, la personne que vous vouliez voir n’est pas sur ce vol. Vous ne l’avez pas manquée.

Il leva vers elle un regard épuisé.

¾        Merci.

Elle sembla hésiter un instant :

¾        J’ai… J’ai regardé l’émission hier soir. C’est elle que vous cherchez ?... Et ce sont ses livres là, non ?

Il eut un pauvre sourire.

¾        On ne peut rien vous cacher !

¾        Bonsoir, Monsieur. Bon courage et bonne chance ! dit-elle soudain gênée de son audace, avant de disparaître avalée par la porte automatique.

Face au chanteur, un mot écrit en rouge se mit à clignoter sur le panneau d’affichage électronique à côté de « Tokyo » : parti. Alors il se leva pesamment et sortit dans la fraîcheur de la nuit appeler un taxi.

 

 

Buenos Aires, juin 2008

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